SansCrierArt : Aperçu critique de l'actualité culturelle. Comptes-rendus d'expositions, de pièces de théâtre, de films et de tous autres évènements culturels.

1 novembre 2024 5 01 /11 /novembre /2024 18:38

Dans la Russie stalinienne, en 1930, Sémione, chômeur et pas très malin, vit dans un appartement communautaire aux crochets de sa femme et de sa belle-mère. Il voudrait gagner sa vie comme musicien mais il ne sait pas jouer d'instrument. Lorsqu'un quiproquo laisse à penser qu'il est suicidaire, autour de lui, beaucoup trouvent leur compte dans ce suicide.

Erdman n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour dénoncer la société russe stalinienne ; sa pièce fut d'ailleurs rapidement interdite. Tout le monde en prend pour son grade. Il pointe du doigt, entre autres, le régime qui affame son peuple et le manque de courage de l'intelligentsia qui préfère pousser le prolétaire au suicide revendicatif, car "seuls les morts peuvent dire ce que les vivants pensent".

Stéphane Varupenne présente une mise en scène qui souligne l'agitation des protagonistes dans un espace restreint. L'idée d'enfermement domine.  Sur scène, le décor est, dans la première partie, centré sur la chambre à coucher. Elle est entourée de hauts murs, cage d'escaliers et de rideaux qui figurent la promiscuité des habitations communautaires. Promiscuité soulignée un peu plus par un travail sur le son, les voisins sont ainsi omniprésents. Le décor se transforme ensuite en vaste salle des fêtes pour le dîner d'adieu de Semione, puis disparaît totalement pour une curieuse mise en bière. Parallèlement, petit à petit, les comédiens investissent la salle, des musiciens interviennent, on chante. La mise en scène de Stéphane Vanrupenne s'étend et prend des formes multiples qui servent parfaitement le désarroi de Semione, qui agité, passe par tous les états.

L'intérêt de la pièce réside dans l'alliance d'un message politique et existentiel fort et d'une réelle puissance comique. Les répliques hilarantes sont foison, le comique de situation percutant. Le jeu des comédiens du Français (Jérémy Lopez, Serge Bagdassarian, Julie Sicard, Adeline d'Hermy, Florence Viala, Clément Hervieu Léger, Yoann Gasiorowski, Sylvia Berger, Christian Gonon, Anna Cervinka, Clément Bresson, Adrien Simion, Léa Lopez, Melchior Butin des Rozier) a cette précision indispensable au vaudeville où le rire prend toute sa plénitude dans les détails, un geste, un mouvement de tête, un sourcil levé. La troupe est, ici encore, absolument remarquable.

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2024 4 31 /10 /octobre /2024 23:36

John Cassavetes et Gena Rowlands ont été un couple emblématique du cinéma indépendant américain. Un cinéma fait à la maison, entre amis et en famille, aux sujets audacieux qui n'entraient pas dans les cases des films de studios. Contre présente un portrait de cet homme et cinéaste incontrôlable qui naviguait hors des sentiers battus et en filigrane de sa femme comédienne géniale.

La pièce déroule son récit à travers la création d' Une femme sous influence, le rapport des critiques au cinéma de Casavetes et des interrogatoires policiers au sujet d'une agression supposée d'un chef opérateur par Casavetes lui-même.

Ainsi le récit dessine la création, ies difficultés de donner vie à une oeuvre décalée dans un cinéma devenu business, l'art de la critique et ses bons mots, le portrait du réalisateur farouchement à contre courant, arrogant et vindicatif et l'importance de son entourage dans la réalisation de ses œuvres.

Sur le plateau, trois espaces : un studio TV, un commissariat et le salon des Casavetes - Rowlands, souvent lieu de tournage. Dans cette mise en scène de Sébastien Pouderoux et Constance Meyer, la circulation entre ses trois espaces est très fluide. Et si la vidéo intervient c'est avec pertinence sur les scènes d'interrogatoires ; les comédiens filmés ainsi en gros plans donnant libre court à un jeu très expressif.

C'est intelligent, drôle et excellemment interprété. Dominique Blanc en Pauline Kael, critique à la dent dure, et Marina Hands, en imperturbable Gena Rowlands, sont magnifiques de justesse, d'élégance et de drôlerie. Sébastien Pouderoux est parfaitement inquiétant, suffisant et éruptif dans le rôle du maître et Nicolas Chupin plus vrai que nature en Peter Falk Ils sont très bien accompagnés par Jordan Rezgui, Antoine Prud'homme de la Boussiniere, Rachel Collignon et Blanche Sottou.

Une création totalement réussie.

Lire le post sur le film Une femme sous influence 

Partager cet article
Repost0
26 octobre 2024 6 26 /10 /octobre /2024 01:18

En Angleterre, en 1908, naissent Daisy et Violet soeurs siamoises. Elles sont adoptées par Mme Hilton, sage femme clandestine, qui les exploitera toute sa vie.

Cette véridique triste et glauque histoire de monstres de foire ne pouvait que séduire Valérie Lesort et Christian Hecq. Ils content ainsi la vie des sœurs Hilton de leur naissance à leur mort sur une tonalité burlesque non dénuée de sensibilité. On rit beaucoup, jamais au dépend des soeurs Hilton, mais toujours de leur entourage.

Le cirque et le cabaret sont mis à l'honneur présentant un vaste éventail de monstres, soit par leur difformité physique, soit par l'ignominie de leur comportement. Les scènes et numéros d'une époustouflante créativité et d'une impressionnante ingéniosité se succèdent.

Décors, costumes, maquillage et perruques, jeux de lumières, où le rouge domine, servent merveilleusement le propos.

Christian Hecq, qui multiplie les personnages, est, cette fois encore, hilarant. Virginie Lesort et Céline Milliat-Baumgartner impressionnent dans la chorégraphie qu'impose le rôle des soeurs siamoises. A leur côté, Yann Frisch et Renaud Crols, multipliant eux aussi les personnages sont excellents.

Et Charlie l'aboyeur est inoubliable dans la scène d'ouverture du spectacle

Lire les post sur les précédents spectacles de Christian Hecq et Virginie Lesort : La mouche, 20 000 lieux sous les mers, Le voyage de Gulliver 

Partager cet article
Repost0
11 octobre 2024 5 11 /10 /octobre /2024 22:18

Christiane Jatahy adapte librement ShakespeareSon Hamlet se déroule de nos jours dans un monde où les rois règnent encore  Le prince du Danemark est visité par le fantôme de son père. Le roi qui vient de mourir assassiné intime l'ordre au prince, gagné par la folie, de le venger.

L'histoire d'Hamlet se reconnaît aisément, les mots de Shakespeare se font bien entendre,  pourtant cette proposition est tout à fait autre. Christiane Jatahy mêle au texte originel, majoritairement présent, des textes de sa création et des extraits de Virginia Woolf, attribue les paroles de personnages à d'autres, escamote et déplace pas mal de scènes, fait répéter à plusieurs reprises certaines répliques clés de la pièce pour souligner leur importance et la folie d'Hamlet. Elle le place dans la posture du repenti qui s'interroge sans cesse sur ses actes, leur violence et sur ce qu'il aurait fallu faire pour les éviter, hanté par ses fantômes et par ses crimes. Elle nous convie dans sa fantasmagorie, au coeur de son malaise.

Aussi, ici, le fils du roi se déclare fille et est considérée comme telle par tous à l'exception de son beau père, le traître et faible Claudius. Les personnages féminins sont forts. Gertrude assume et revendique ses choix, Ophélie n'est plus cette petite chose fragile.

Marque de fabrique de Christiane Jatahy, la mise en scène mêle théâtre et cinéma. Le premier quart d'heure de la pièce voit la projection du spectre du roi (Loïc Corbery) sur un voile placé en avant scène tandis que l'on devine les comédiens sur le plateau. Jatahy joue avec efficacité sur les proportions projetant l'image du roi défunt en format XXL, tel qu' il prend place dans l'esprit du prince. Puis, ce sont les invités du mariage de Gertrude et Claudius qui prennent place en vidéo. Ce procédé donne corps à la perception étrange, à la folie d'Hamlet. La vidéo sera utilisée régulièrement tout au long de la pièce via un téléviseur que les comédiens déplaceront à de multiples reprises. Le mobilier sera aussi déplacé et replacé. Cette effervescence incessante est peut-être le point faible de la mise en scène. Entre ses mouvements de décors, les projections de vidéo live, les sous-titres des dialogues en portugais (personnages d'Ophélie et de Polonius), la musique pop, les images qui se reflètent dans les nombreux miroirs du décor et l'immense scène, on ne sait plus où posé son regard et conserver toute son attention.

On en admire d'autant plus les comédiens - Servane Ducorps, Isabel Abreu, Tom Adjibi, David Houri, Tonan Quito, Matthieu Sampeir - tous excellents et très sollicités par cette mise en scène.

Mais de tout cela ce qui marque le plus est sans conteste Clotilde Hesme, incroyable d'intensité. Une très grande comédienne.

Lire le post sur La règle du jeu mise en scène par Christiane Jatahy

Partager cet article
Repost0
10 octobre 2024 4 10 /10 /octobre /2024 20:05

Déchaîné ! Est-ce de savoir les caméras présentes dans la salle, le comédien est particulièrement en forme dans cette captation de son spectacle La Fontaine et le confinement.

C'est pourtant par le peu aisé Divertissement de Pascal que débute le spectacle mais très vite le comédien instille de la fantaisie. Moque le mari présent contre sa volonté, salut les retardataires involontaires et se lance dans le coeur de son sujet avec la fable l'ours et l'amateur de jardin de La Fontaine qui contient la phrase qui a donné vie à ce spectacle : "La raison d'ordinaire n'habite pas longtemps chez les gens séquestrés." 

Luchini joue avec son public et enchaîne dans le désordre un hommage à son maître Jean-Laurent Cochet, à Louis Jouvet, à Jules Romain, à Johnny Hallyday, au théâtre, au génie des écrivains français, à sa Philinte dont il est l'Alceste, raconte ses journées devant la télévision et le duo Veran-Salomon, ses échanges avec Macron, sa rencontre avec la ministre de l'éducation nationale, cite Mme de Sévigné et Mme de La Fayette, rappe sur La Fontaine, donne une leçon de séduction, et dit avec son élocution et son indéniable sens du rythme, répétant avec gourmandise ces phrases favorites, quelques fables dont La besace, Conseil tenu par les rats, Le curé et le mort, La Laitière et le pot au lait...et clôt le spectacle avec sa fable favorite La mort et le mourant.

A voir en replay sur TF1.fr

Partager cet article
Repost0