SansCrierArt : Aperçu critique de l'actualité culturelle. Comptes-rendus d'expositions, de pièces de théâtre, de films et de tous autres évènements culturels.

22 mars 2025 6 22 /03 /mars /2025 12:51

En mai 1968, la famille Boltanski vit soudée dans un appartement de la rue de Grenelle. Entre effrois et envie d'en être, ils suivent les mouvements sociaux.

Le film est inspiré du livre autobiographique de Christophe Boltanski (prix Femina 2015). Les scénaristes ont toutefois choisi de concentrer son action en mai 68. Le film fait le portrait d'une famille haute en couleurs, marquée par la guerre et la déportation, vu par les yeux d'un petit garçon de 9 ans, Christophe, le narrateur.

Il est le seul avec ses parents à ne pas vivre en permanence dans l'appartement familiale qui est occupé par Grand oncle, linguiste, Petit oncle, plasticien qui a eu la mauvaise idée de lancer sa première exposition ce mois de mai, l'arrière grand-mère, nommée Arrière Pays, qui est arrivée d'Ukraine à la fin du XIXe siècle, Mère-grand sociologue et Père-grand, médecin généraliste qui a peur du sang. Ils vivent très soudés, semblant limité les sorties à l'extérieur de leur appartement au maximum. Au mieux, ils utilisent l'Ami 6 conduite par Mère-grand qui y donne ses rendez-vous.

Le film séduit par la générosité de ses comédiens, tous excellents, Dominique Reymond, d'une finesse de jeu inégalable, Michel Blanc, touchant de fragilité dans son dernier rôle, Liliane Rovere, géniale, William Lebghil, très crédible en linguiste premier degrés, Aurélien Gabrielli, très Christian Boltanski et la révélation, le jeune Ethan Chimienti. Mais le film séduit également formellement. Il nous invite dans les souvenirs de Christophe et en adopte les couleurs, les zooms sur des détails et le son du moteur du projecteur des films en super 8 de l'époque dans les scènes de voitures où le paysage qui défile est volontairement artificiel.

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20 mars 2025 4 20 /03 /mars /2025 17:44

 

La nouvelle création d'Amos Gitai débute par la diffusion d'un long extrait de son film Tsili projeté sur un écran immense. L'histoire d'une enfant juive qui survit seule. Puis, l'écran se soulève et des vêtements tombent violemment des cintres et s'écrasent sur la scène, symbole souvent utilisé pour évoquer les millions de juifs morts dans les camps d'extermination.

Ainsi, c'est bien de la persécution des juifs qu'il sera question ici. Tout d'abord en s'inspirant d'un conte pour enfants d'Isaav Bashevid Singer et du Golem, monstre d'argile de la mythologie juive : Au XVIe siècle, à Prague, où les protestants règnent, un juif est accusé à tort d'avoir assassiné une petite fille. Le rabbin Leib, qui défend la communauté juive constamment persécutée, créé un Golem pour qu'il retrouve cette petite fille. Dans le conte le rabbin perd le contrôle du Golem mais Amos Gitai stoppe le conte avant.

En revanche, il le complète et l'illustre avec des textes sur la langue yiddish (les discours que Bashevid Singer prononça lorsqu'il reçu le Prix Nobel de littérature) comme un hommage à une langue d'une grande richesse pour décrire les affres de la vie mais qui n'a que peu de mot pour dire les armes et la guerre.  D'autres textes décrivent avec force détails des pogroms (Juifs en errance de Joseph Roth, Le baiser et La Croix de Lamef Shapiro...).

Les scènes réservées au conte jouent sur le décalage, Micha Lescot interprétant avec drôlerie le juge antisémite du tribunal. Les sequences d´hommage au yiddish, dont des chants,  sont poétiques. A l'inverse, la partie sur les pogroms est d'une grande violence tant dans la forme que dans le contenu cru des textes décrivant les massacres. A ce moment là, les comédiens se transforment en Golem, représentant sans doute tous les appels à l'aide du peuple juif massacré. Cette partie du spectacle est assez pénible. Les textes peut-être parce qu'ils sont dits en plusieurs langues successives ne portent pas d'émotion, ne brandissant que l´extrême violence qu'ils portent.

Le spectacle est constamment accompagné de moment musicaux, qui interviennent comme des respirations. Les trois chanteuses et le chanteur sont remarquables, tout comme les comédiens dont Micha Lescot et Irène Jacob. Sur la scène au sol, un arbre, un piano, un violoniste et un joueur de santour et de synthès. Suspendus au dessus de la scène des devantures de maisons et en fond un écran, des éléments sur lesquels seront projetées pendant les deux heures des lumières et des vidéos live de la pièce.

Le tout est interprété en 8 langues différentes, sous titrées en français et en anglais.

Bref, le spectacle est d'une grande richesse et veut embrasser un sujet d'une immense et d'une grande complexité.

Dans une scène finale les comédiens se présentent, ou se situent, dans une volonté de donner à la pièce une projection universelle. Si on ne doute pas un seul instant de sa sincérité, cette scène se présente comme une conclusion un peu artificielle face à tout ce qui a été déployé auparavant sur l'antisémitisme séculaire. 

A voir au théâtre de la Colline jusqu'au 3 avril 2025.

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17 mars 2025 1 17 /03 /mars /2025 18:51

Pour beaucoup, Emilie Dequenne c'est Rosetta, celle qui se bat pour avoir un travail, pour ne plus vivre dans une caravane, pour avoir une vie normale. Emilie a 17 ans quand les frères Dardenne la choisissent. Elle n'en a pas encore 18 quand elle reçoit le prix d'interprétation à Cannes en 1999. Elle entre dans le monde du Cinéma avec une vérité telle, une évidence. C'est  une révélation.

2 ans plus tard, elle est une jeune marquise, qui n'a pas froid aux yeux, dans Le Pacte des loups aux côtés de Samuel Le Bihan.

En 2009, c'est André Téchiné qui la choisie pour être La fille du RER face à Catherine Deneuve. Inspirée d'un fait divers, son héroïne est une mythomane qui s'invente une agression à caractère antisémite.

En 2013, dans Pas son genre, sous la caméra de Lucas Belvaux, elle est Jennifer, coiffeuse à Arras, enjouée, naturelle, un peu naïve qui s'éprend d'un intellectuel parisien qui n'assume pas cette relation. Loïc Corbery, de la Comédie Française est son partenaire et elle reçoit un Magritte pour ce rôle.

En 2017, dans Les hommes du feu de Pierre Jolivet, elle est l'adjudant-chef Bénédicte qui peine à trouver sa place dans la caserne de pompiers où elle a été affectée dirigée par Roshdy Zem.

En 2020, pour Emmanuel Mouret, elle est Louise, la femme trompée qui s'efface pour laisser son homme aimer une autre. Dans Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait, elle apparaît peu, mais marque encore fortement dans une longue séquence finale qui nous cueille par la sensibilité de son incarnation. Elle reçoit pour ce film le César du meilleur second rôle féminin.

En 2022, elle est Sophie, bouleversante mère du jeune Rémi, dans le très beau Close de Lukas Dhondt.

Des femmes aussi diverses, elle en a incarnée plus de 50, beaucoup au cinéma et un peu à la télévision.

Elle leur a donné vie comme peu d'acteurs savent le faire, s'effaçant totalement derrière ses personnages. Son visage enjoué qu'habillait un immense sourire, ses yeux rieurs, sa voix douce et juvénile étaient des armes absolues pour communiquer toutes les émotions même les plus sombres. Comme dans A en perdre la raison de Joachim Lafosse, dans lequel Emilie incarnait Muriel, mère de famille, qui suffoque sous le poids du quotidien et qui commet l'inimaginable. Son incarnation donne à Muriel une humanité puissante que même son geste fou ne peut lui retirer. 

Emilie Dequenne est morte ce 16 mars, après avoir partagé publiquement pendant plusieurs mois son combat contre le cancer. Elle avait 43 ans.

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16 mars 2025 7 16 /03 /mars /2025 15:06

George (Michael Fassbender) et sa femme, Kathryn (Cate Blanchett) sont agents des Services Secrets Britanniques. Quand George est missionné pour démasquer une taupe, il convie tous les suspects à dîner chez lui. Kathryn en fait partie.

Steven Soderbergh propose un thriller en quasi huis clos. Pas de poursuite de voitures, pas de coups de feux. Il s'agit ici d'un polar psychologique d'une élégance toute britannique. Les tenants et aboutissants de la trahison sont un peu bancals mais ce n'est pas l'important. Ce qui importe ce sont les relations de confiance et le poids du mensonge dans la vie de couple.

Esthétiquement tout est soigné et l'élégance règne du casting qui compte entre autres Michael Fassbinder et Cate Blanchett jusqu'à la réalisation et la photographie très soignées comme souvent chez Soderbergh. 

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14 mars 2025 5 14 /03 /mars /2025 18:33
Trahisons théâtre de l'Oeuvre Sanscrierart.com

Il y a 2 ans à peine, Emma et Jerry mettaient fin à leur liaison adultère. Alors qu'ils se retrouvent, Emma apprend à Jerry, qu'elle vient d'avouer à Robert, son mari, qu'elle l'a trompé avec Jerry, son meilleur ami, pendant 7 ans. Mais, le lendemain,  Robert affirme à Jerry qu'Emma le lui a dit il y a 4 ans.

Tout dans cette adaptation de la pièce d' Harold Pinter sonne juste. Les comédiens en premier lieu. Swann Arlaud, si impressionnant au cinéma s'avère tout autant marquant sur scène. Très élégant, son jeu d'une grande sobriété impose, dès son entrée en scène, son personnage. A ses côtés, Marc Arnaud, tout en tension retenue, et Marie Kaufmann, énigmatique et fragile, sont épatants.

La mise en scène de Tatiana Vialle chorégraphie précisément les déplacements et la présence des comédiens, appuyant l'humeur et l'ambiguïté du moment. La scène presque nue, habillée de 2-3 chaises et de paravents de néons, comme pour montrer tout ce qu'il faut cacher, gagne en profondeur par des projections vidéos qui plantent le décor. La musique lancinante qui revient en boucle pendant toute la pièce est également excellente.

Enfin, la mise à nu, progressive par flash back, de cet énigmatique trio, signée Pinter, fonctionne encore parfaitement. 

Scénographie Alain Lagarde, musique Lou et Mahut.

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