Christiane Jatahy adapte librement Shakespeare. Son Hamlet se déroule de nos jours dans un monde où les rois règnent encore Le prince du Danemark est visité par le fantôme de son père. Le roi qui vient de mourir assassiné intime l'ordre au prince, gagné par la folie, de le venger.
L'histoire d'Hamlet se reconnaît aisément, les mots de Shakespeare se font bien entendre, pourtant cette proposition est tout à fait autre. Christiane Jatahy mêle au texte originel, majoritairement présent, des textes de sa création et des extraits de Virginia Woolf, attribue les paroles de personnages à d'autres, escamote et déplace pas mal de scènes, fait répéter à plusieurs reprises certaines répliques clés de la pièce pour souligner leur importance et la folie d'Hamlet. Elle le place dans la posture du repenti qui s'interroge sans cesse sur ses actes, leur violence et sur ce qu'il aurait fallu faire pour les éviter, hanté par ses fantômes et par ses crimes. Elle nous convie dans sa fantasmagorie, au coeur de son malaise.
Aussi, ici, le fils du roi se déclare fille et est considérée comme telle par tous à l'exception de son beau père, le traître et faible Claudius. Les personnages féminins sont forts. Gertrude assume et revendique ses choix, Ophélie n'est plus cette petite chose fragile.
Marque de fabrique de Christiane Jatahy, la mise en scène mêle théâtre et cinéma. Le premier quart d'heure de la pièce voit la projection du spectre du roi (Loïc Corbery) sur un voile placé en avant scène tandis que l'on devine les comédiens sur le plateau. Jatahy joue avec efficacité sur les proportions projetant l'image du roi défunt en format XXL, tel qu' il prend place dans l'esprit du prince. Puis, ce sont les invités du mariage de Gertrude et Claudius qui prennent place en vidéo. Ce procédé donne corps à la perception étrange, à la folie d'Hamlet. La vidéo sera utilisée régulièrement tout au long de la pièce via un téléviseur que les comédiens déplaceront à de multiples reprises. Le mobilier sera aussi déplacé et replacé. Cette effervescence incessante est peut-être le point faible de la mise en scène. Entre ses mouvements de décors, les projections de vidéo live, les sous-titres des dialogues en portugais (personnages d'Ophélie et de Polonius), la musique pop, les images qui se reflètent dans les nombreux miroirs du décor et l'immense scène, on ne sait plus où posé son regard et conserver toute son attention.
On en admire d'autant plus les comédiens - Servane Ducorps, Isabel Abreu, Tom Adjibi, David Houri, Tonan Quito, Matthieu Sampeir - tous excellents et très sollicités par cette mise en scène.
Mais de tout cela ce qui marque le plus est sans conteste Clotilde Hesme, incroyable d'intensité. Une très grande comédienne.
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