SansCrierArt: Aperçu critique de l'actualité culturelle. Comptes-rendus d'expositions, de pièces de théâtre, de films et de tous autres évènements culturels.
En Pologne, pendant la seconde guerre mondiale, dans la neige, une femme prie le Dieu du train de lui venir en aide. Alors que l'un des trains de la mort qui longent le bois vient de passer, elle entend les pleurs d'un bébé. Elle emporte l'enfant chez elle et son mari bucheron, mais celui-ci n'aime pas les Sans coeurs parce qu' "ils ont tué Dieu".
Michel Hazanavicius présente une très belle adaptation du conte de Jean-Claude Grumberg. Ce film d'animation d'une indispensable sobriété offre peu de dialogues. Ceux-ci sont joués par Grégory Gadebois, Dominique Blanc et Denis Podalydes, tandis que Jean-Louis Trintignant prête sa voix au narrateur. Le récit repose surtout sur les images. Les aplats de couleurs pâles de la vie dans les bois cèdent à trois reprises la place à la représentation en dessin noir et gris de la déportation, les wagons à bestiaux, les camps. Le réalisateur sans édulcorer montre peu et pourtant ces séquences glacent le sang.
Dans les rues de Paris, Souleymane pédale le plus vite possible pour effectuer les livraisons de repas qui lui rapporteront quelques euros. Il se démène aussi pour être prêt pour son entretien de demande d'asile et obtenir enfin les papiers qui lui permettront de travailler en toute légalité.
Malgré toute l'énergie qu'il déploie, Souleymane trébuche sans cesse, acculé par ceux qui, sous couvert de l'aider, l'exploite. Boris Lojkine filme Souleymane au plus près. Sa caméra embarquée nous emporte dans un cinéma naturaliste, cousin de celui des frères Dardenne.
Ce dispositif bénéficie de la grâce de son comédien. Abou Sangare est impressionnant de vérité. Certes, cette histoire est très proche de la sienne mais cela ne suffit pas à expliquer cette remarquable incarnation. A ses côtés, pour une scène finale clé, on retrouve l'excellente Nina Meurisse qui fut la Camille du film éponyme de Boris Lojkine.
Le scénario s'il ne ménage pas Souleymane n'est jamais misérabiliste, ne donne jamais dans l'émotion facile. Si celle-ci se présente, c'est de constater, encore et toujours, la façon dont sont traités les réfugiés, migrants politiques, sanitaires ou économiques, et notre incapacité à leur venir en aide.
Le film a reçu au Festival de Cannes 2024, le prix du jury et du meilleur comédien dans la sélection Un Certain Regard.
Mise à jour 3 mars 2025 : Abou Sangare a reçu le César du meilleur comédien.
Mehdi Idir et Grand Corps Malade proposent un biopic chronologique, découpé en chapitres dont les titres, qui reprennent ceux de chansons, sont écrits sur une page de cahier, ce qui n'annonce pas un geste artistique d'une grande puissance. La période de l'enfance est traitée au pas de course, énumérant les évènements sans grâce. On est ainsi informé dès le départ que le film ne révolutionnera définitivement pas le genre.
Ensuite, le film conte la hargne de réussir du chanteur, son abnégation, ses choix heureux ou malheureux de ses débuts difficiles, durant lesquels il rencontrera deux personnages clés : Pierre Roche (Bastien Bouillon surprenant) et Edith Piaf (Marie-Julie Baup excellente). Le scénario déroule les étapes clés de son ascension de 1941 à 1960 (le concert de la consécration à l'Alhambra) en les illustrant des chansons de Charles sans qu'on sache très bien si la chronologie des évènements et des chansons est respectée. Les réalisateurs passent rapidement sur certains événements mais usent pour d'autres de redondances dont on ne comprend pas l'utilité.
Les années suivantes sont contées encore plus rapidement semblant là uniquement pour illustrer les tubes du grand Charles. Les réalisateurs choisissent de finir le film sur une période où le chanteur ayant atteint son objectif de gloire et venant de perdre son fils est en proie à la dépression. Curieux.
Exception faite de la présence de Tahar Rahim, impressionnant sans que sa prestation ne prenne le dessus sur son incarnation, le film s'oubliera vite.
En 1815, en France, Edmond Dantes, 22 ans, victime d'un complot, est arrêté le jour de son mariage avec Mercedes et emprisonné dans les cachots du château d'If.
Le roman-feuilleton d'Alexandre Dumas (écrit avec la collaboration d'Auguste Maquet) a déjà été de nombreuses fois adapté à la télévision et au cinéma avec plus ou moins de bonheur. Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patelliere s'attaquent à leur tour à ce pavé de 1500 pages, aventure aux multiples rebondissements et au héros iconique.
Et c'est contre toute attente une réussite. Tout d'abord dans l'écriture du scénario. Le récit, qui dure pourtant près de 3 heures, est d'une grande fluidité, d'une grande maîtrise, déroulant l'histoire en allant à l'essentiel des événements sans précipitation ou perte de sens, présentant les personnages sans en négliger, exposant malgré tout la diversité des sentiments. La première heure est en cela exemplaire. Du bonheur absolu à l'arrachement, de l'effondrement à la soif de vengeance, le spectateur est emporté dans la descente aux enfers de Dantès et est prêt pour la suite que le Comte de Monte-Cristo décrit ainsi "Ce n'est pas de la vengeance, c'est de la justice"
Décors en majesté, élégance des costumes, beauté des images, précision de la réalisation qui en amples mouvements de caméra comme au plus près des visages donne à voir les émotions, les tensions, les actes de bravoure et donne du rythme quand il le faut. Casting royal avec Pierre Niney très grand en Comte de Monte-Cristo, entouré de la toujours excellente Anaïs Demoustier, des non moins très bons Bastien Bouillon, Laurent Lafitte, Patrick Mille, Anamaria Vartolomei, Vassili Schneider et Julien de Saint-Jean. Dans des seconds rôles, plaisir de retrouver Stéphane Varupenne, Bruno Raffaelli, Pierfrancesco Favino et Julie Bona. Seul bémol à cette pièce de maître, la présence quasi incessante de la musique. Comme trop souvent dans ce genre de cinéma, les réalisateurs semblent manquer de confiance en leurs comédiens ou même en leurs images pour faire passer l'émotion voulue.
Cela ne parvient toutefois pas à gâcher ce grand spectacle de divertissement populaire, intelligent et de qualité comme Dumas semblait lui même les apprécier.
Une réalisatrice hystérique hurle à Chiara, plongée dans la fontaine de la place Saint Sulpice, maquillée en Anita Ekberg, d'appeler "Marcello !". Lorsque Chiara se réveille, elle voit dans le miroir, le visage de son père. Puis, sur un casting, Nicole Garcia lui intime de jouer plutôt façon "Mastroianni" que "Deneuve". Alors, Chiara bascule.
Christophe Honoré signe un film aux multiples interprétations. Film sur la filiation et le poids de l'héritage qui peut être, à la fois, une richesse et un fardeau. Film sur le travail des acteurs, leur vie à voler des vies inventées, leur capacité à s'oublier pour incarner leur personnage. Film sur la disparition, l'absence et le manque de l'être cher. Film sur la capacité qu'a le cinéma de faire revivre les morts. Film sur le jeu "on dirait que..." poussé à l'extrême.
Autour de Chiara Mastroianni, magnifique comédienne, la grande Catherine crée un personnage de Catherine Deneuve telle que l'imaginaire collectif la voit, tout comme le font Fabrice Luchini, Nicole Garcia, Melvil Poupaud et Benjamin Biolay censés jouer leur propre rôle. Face au délire de Chiara, chacun réagit différemment, avec une inquiétude retenue (Catherine), compréhension (Benjamin), colère (Melvil) ou envie d'en être (Fabrice).
Dans les péripéties de Chiara, le réalisateur multiplie les références, intimes et cinématographiques, au grand Marcello Mastroianni. C'est souvent drôle et aussi bouleversant. Malgré ses qualités, le film présente quelques baisses de régimes et curieusement des plans de coupes aléatoires et une scène de volley inutilement non cadrée. Mais, cela n'altère en rien l'ambitieuse et émotionnelle proposition du film.
Marcello Mio est aussi une déclaration d'amour d'un réalisateur à son actrice. Sa Chiara à lui.